ZËSS, le jour du néant

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FULGURANCE, APOTHÉOSE
ET TRANSFIGURATION

« Zëss », le nom lui-même est acéré comme une lame, effilé comme une entaille, furtif comme la course d’un météore. Si l’inspiration qui habite Zëss vient du fond des âges, une première ébauche se dessine en 1977. Peu à peu complété, le morceau sera joué une première fois en concert au printemps 1979, puis constituera l’une des pièces maitresses du répertoire de Magma jusqu’à sa mise en sommeil en 1983.
Alors que la musique semble naître de la nuit pour la transfigurer, les premiers accords s’étalent dans des lueurs d’aube, puis se lèvent tels de grands contre-jours. Leur orbe dessine déjà l’ovale d’un stade antique posé dans le noir sidéral, immense arène céleste qui résonne de toutes les voix de l’univers. Car tous s’y sont donnés rendez-vous pour une célébration ultime : celle du Jour du Néant.
Zëss est longtemps resté frappé par le sceau de son inachèvement, et son enregistrement a de fait été longuement différé. Quatre décennies après sa première esquisse, l’œuvre est enfin gravée, après avoir trouvé la formule orchestrale qui lui donne à la fois sa véritable dimension onirique et la force de son dépassement, exaltant alors un chant magnifié. Car Zëss est avant tout le reflet visionnaire d’un rêve immémorial qui hante la part la plus obscure des âmes.
Oratorio incandescent, Zëss pointe ainsi ce renversement suprême à travers lequel fuse cet au-delà de la musique que seule la musique permet d’atteindre. N’est-ce pas là cristallisée toute l’histoire de Magma…

Album Review

Dans le livret de Zëss, composition qui donne son titre au nouvel album du groupe Magma, le journaliste et musicien Bruno Heuzé en situe la
genèse à 1977. De premiers concerts à partir de 1979, la composition trouva une forme plus développée en 1981, notamment lors d’une quinzaine de concerts à Bobino, à Paris, dont sera tiré un premier enregistrement. Elle a été
aussi jouée en acoustique avec Offering ou Les Voix de Magma. La voici, dans sa version « définitive» selon son créateur, Christian Vander, « et monumentale ». En plus de membres du groupe, c’est avec le City of Prague Philharmonic Orchestra, dirigé par Adam Klemens, qu’a été enregistrée cette longue pièce de près de quarante minutes. Définitive, par plusieurs ajouts et des choix dans l’interprétation. Ainsi, passé l’introduction instrumentale, sur une base au piano et choeurs, la partie déclarative a été révisée et complétée. Elle est en français, ce qui n’est pas une première dans le répertoire des compositions du batteur, chanteur et pianiste, mais reste assez rare, le kobaïen, langue musicale inventée par Vander pour rendre au mieux son propos artistique, étant majoritaire. « A l’époque, ce texte est venu du;français. Il m’évoquait beaucoup
d’images. » Pour invoquer les maîtres de la vérité, des vents, des eaux, des furies, des passions, des
haines, du temps… Et le maître des sons que l’on découvre ici. « Des subtilités dans la frappe » Un tempo légèrement plus lent aété choisi, « qui nous a permis demieux travailler sur les mélodies, de les rendre plus belles ». Le final a été étendu, « sorte de cri d’ouverture, qui n’aboutit pas, les derniers soubresauts ». La partie de batterie, qui comme lors des concerts n’est pas interprétée par Christian Vander, a été confiée au Suédois Morgan Agren. « La difficulté c’est de tenir, sur la durée, la régularité de la frappe avec toutes ses nuances, en particulier dans le phrasé de main gauche à la caisse claire. Morgan l’a réalisé magnifiquement, avec des subtilités dans la frappe, un aspect swing plus abouti. » Cela valorise, dans cette pièce, l’aspect en suspension de la musique, une fluidité en rebond avec l’assise des accords au piano, joués ici par Simon
Goubert, par ailleurs batteur. Christian Vander explique qu’il a longtemps hésité à revenir à Zëss pour un enregistrement en studio. « C’est une pièce qui porte en sous-titre “Le Jour du néant”. » J’avais le sentiment que, par son thème, il ne pourrait plus rien y avoir après, pas d’autres compositions. Et puis Stella [Vander, qui a rejoint le groupe comme chanteuse au début des années 1970], qui insistait depuis des années pour qu’on l’enregistre, m’a convaincu qu’il fallait le faire et en plus avec un philharmonique. » Pour lequel le saxophoniste Rémi Dumoulin a écrit un arrangement de vents et de cordes. « Pour des questions financières, nous n’avions qu’une journée avec le philharmonique, et si l’on échouait, c’était de l’argent engagé pour rien, de l’énergie, un coup au moral. On a eu la chance de travailler avec des musiciens extraordinaires, et cela donne une très belle version. » Celle-ci trouve son plein épanouissementdans la sophistication d’écriture d’échanges entre les flûtes, clarinettes et les cuivres, le remplacement par une longue séquence orchestrale, durant le quatrième mouvement Streüm Undëts Wëhëm, d’une partie jouée à la guitare lors des concerts, l’accord des cordes avec les poussées chorales. Zëss, qui vient s’ajouter aux compositions au long cours de Magma, dont Rïah Sahïltaahk ou Félicité Thösz, les deux trilogies qui rassemblent, d’une part, Theusz Hamtaahk, Wurdah Itah et Mekanïk Destruktïw Kommandöh et, d’autre part, K.A., Köhntarkösz et Emëhntëhtt-Ré, constitue aussi comme un condensé de nombreuses approches de Vander. On y retrouve la forme opératique, le déploiement rythmique et le dialogue entre des ambiances
sombres, tendues et d’autres qui suggèrent la lumière, l’aérien. Et aussi les références au gospel ou à la soul music, et à l’importance fondatrice du saxophoniste JohnColtrane, mort en 1967, plus particulièrement lors de l’intervention vocale improvisée de Vander: « Je devais avoir 11 ans [il estné en 1948], quand j’ai plongé directement dans sa musique. Et depuis,il m’accompagne. Quand j’ai envie d’apprendre quelque chose, j’écoute toujours John Coltrane. »
- Sylvain Siclier